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Article publié dans La Libre Arts du 4 novembre 2010. Par Claude Lorent.

“Il peut arriver qu’un nom suffise pour annoncer la couleur. Dans mes livres, bien sûr, les mots ont davantage de place. Ils ont leur plasticité propre. Ils occupent l’espace, le dessinent. Ils peuvent évoquer encore des questions de forme et de couleur.”
Bernard Villers

Mise en parallèle très originale des pratiques livresques et picturales de trois peintres contemporains, Kazarian, Villers et Walsh, en la Black Box à Bruxelles.

Les points communs entre les trois peintres de cette exposition sont, en premier, l’option de non figuration en des orientations plutôt minimalistes, en second, la réalisation de livres d’artistes intimement liés à leur démarche picturale. Si les supports de ces deux pratiques sont évidemment différents, il n’existe chez eux aucune rupture entre les deux, l’une et l’autre se complétant en leur spécificité.

Bernard Villers est depuis de nombreuses années un explorateur de l’univers chromatique en des formulations qui exploitent les ressources à la fois de la matière picturale et des supports utilisés. Leur variété, qui va de la traditionnelle surface plane au caractère souvent géométrique à l’objet récupéré et aux papiers de toutes textures, lui permet d’expérimenter constamment leurs réactions spécifiques au traitement chromatique. La transparence, le monochrome, la saturation, la trace et les pigments naturels participent principalement de ses investigations. Parmi les oeuvres exposées, l’une est particulièrement emblématique du rapport à l’édition: un monochrome d’un bleu ciel intense, ouvert comme un livre. Les distinctions s’amenuisent au point de pratiquement disparaître comme en une autre série de peintures d’un cercle inscrit dans un cané avec inscrit sur le mur, mise en relation avec une édition où est appliqué le même principe.

La technique picturale d’Aïda Kazarian s’apparente au boustrophédon, sorte d’écriture continue de gauche à droite se poursuivant de droite à gauche, une méthode empruntée au tissage. Travaillant sur des supports translucides, l’artiste recourt à la peinture au doigt et avec la paume de la main qu’elle fait légèrement glisser sur la toile en une succession de gestes répétitifs mais jamais semblables. L’usage de couleurs aux irisations métalliques provoque des visions changeantes suivant la luminosité et l’angle de vision. Les variations de la perception y sont incessantes. Une peinture en liaison intime avec le corps, la gestualité et une intériorité conséquente de l’application programmée qui conduit à la concentration.

Une seule grande peinture de l’ Américain Dan Walsh répond à ses propositions livresques. Exécutée à main libre en des tonalités sourdes, elle repose sur des effets optiques par les fines irrégularités des traits et la touche qui rendent la toile palpitante par de subtiles vibrations. On retrouve dans les ouvrages exposés une part importante de son travail sur les trames et sur les damiers de carrés inscrits les uns dans les autres, un procédé donnant naissance à une perception en relief particulièrement concrétisée dans les publications.

Bernard Villers. Depuis le début des années 80, après une formation en peinture monumentale sous la direction de Paul Delvaux et Jo Delahaut, l’artiste bruxellois (né en 1939) focalise son travail sur la couleur. Son travail d’auteur de publications d’artiste se manifeste en des productions dans lesquelles plis, mots, formes et répartition des couleurs font référence aux structures livresques. Les livres généralement imprimés en sérigraphie et en tirage numéroté sont produits aux éditions du Remorqueur et de Nouveau Remorqueur.

Aïda Kazarian. Membre de l’Académie royale de Belgique, d’origine arménienne, l’artiste bruxelloise née en 1952 a adopté
depuis la fin des années nonante une technique picturale empruntée à une tradition familiale issue de la pratique du tissage. Outre ses expositions en Belgique, elle a été invitée en résidence à Dusseldorf, en atelier/colloque à Montréal et en divers lieux en France. Ses livres d’artiste sont des exemplaires uniques.

Dan Walsh. Vivant et travaillant à New York, l’artiste né à Philadelphie en Pennsylvanie fait partie de la seconde génération des peintres américains abstraits héritiers du minimalisme, de l’op’art et l’art concret géométrique. Depuis le début des années nonante, cet artiste de la célèbre galerie Paula Cooper de New York et de la galerie Xippas à Paris expose régulièrement aux Etats-Unis et en Europe et s’est manifesté plusieurs fois en Belgique.

Claude Lorent

PDF de l’article.

Exposition des Éditions du Remorqueur, Centre de la Gravure de la Louvière, Juin 2010

Pierre, Papier, Litho  – 10 ans d’impression et d’édition à l’Atelier Bruno Robbe, Centre de la Gravure de la Louvière, 2010-2011

Limites multiples, l’Orangerie, Bastogne, Juin 2011

Article de Claude Lorent parus dans La Libre Belgique

Invité par le CO21, Bernard Villers choisit le rose du Tendre et invite à son tour une cinquantaine de plasticiens à exercer leur imaginaire.

La référence c’est une toile de De Kooning ! Pas n’importe quoi donc, du très sérieux, du solide. Il est vrai que le rose n’est pas vraiment à l’honneur en art, ni du côté ancien ni du côté contemporain. On peut sortir quelques exceptions comme Philippe Mayaux, par exemple, et la proposition actuelle de Bernard Villers qui joue sur les mots autant que sur la couleur.

Autre référence, Marcel Duchamp ! Pas mince non plus, en cet alter ego féminin, photographié par Man Ray : Rrose Sélavy. Titre repris par Bernard Villers, mais adapté, Rose, c’est la vie tout en sachant que cela peut aussi donner Eros, c’est la vie. Tout un programme mis en branle par l’artiste qui décide d’inviter sous cet éclairage de légèreté une cinquantaine d’artistes plasticiens dont la plupart des participations sont savoureuses. Lui-même répondant à l’invitation de Michel Moffarts pour la cinquième exposition sous le signe d’une couleur au CO21, le centre de couleur contemporaine.

Ce rose, Bernard Villers, qui depuis toujours travaille la forme et la couleur, l’a expérimenté pour une exposition qui s’est tenue à Rennes. Pour cela, il s’est basé, autre référence, sur un écrit de Francis Ponge(*) qui à la recherche de définition d’une couleur la nomme Rose sacripant ! Et notre artiste de se mettre à la recherche d’un rose, celui-là peut-être pour établir La carte du Tendre, un imprimé monochrome, côté verso, plié selon les règles en vigueur pour les cartes routières. Comme toute carte du tendre, elle fut mise à l’épreuve du temps ! Et elle a résisté, partiellement, aux intempéries et autres ardeurs de la nature, car elle fut placée à l’air libre, dans un gazon. Et donc, elle subit lentement une certaine dégradation.

Cette démarche, visible en l’expo, quelque peu ludique, fut précédée d’une recherche de ce rose, en une suite d’essais perceptibles seulement à travers quelques hublots percés dans le papier. Une pratique que l’artiste a par ailleurs répétée, laissant au sol les confettis de ce nuancier plus vide que plein. D’autres œuvres livrent quelques facettes du travail habituel de l’artiste avec, en clin d’œil, ce panneau rose suspendu et tournant dans l’espace avec inscription, à lire, recto/verso.

Quant aux invités, ils se sont visiblement décarcassés afin de répondre en petits formats et en ambiance bien décontractée à la proposition chromatique qui peut virer sans se dénier, au noir et blanc sans carré blanc. Tout le plaisir réside dans la découverte de ces saveurs bien choisies !

(*) Francis Ponge, “La pratique de la littérature”, in Méthodes, Paris, Gallimard, col. Idées, 1961

Bernard Villers. Rose, c’est la vie. CO21, 21, rue de Tamines, 1060 Bruxelles. Week-ends de 14 à 18h30 et srv. www.co21.net

Une autre exposition de Bernard Villers, Leporello, se tient jusqu’au 23 mai au 12, rue Crickx à 1060 Bruxelles