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Extrait de l’ouvrage ‘D’une oeuvre à l’autre” de Guy Schraenen.

Bernard Villers est de ces artistes trop rares aujourd’hui pour qui l’art, l’oeuvre d’art est autre chose qu’un produit. Pour lui l’oeuvre – l’ensemble de son oeuvre – constitue une trace, des ombres, des transparences, laissées ici ou là, que les amateurs attentifs auront eu le privilège de fixer le temps d’un instant, l’instant de la vision. Pour voir quoi? En général simplement un souvenir et quelquefois seulement un souvenir d’ombre: une oeuvre où l’absence et où l’éphémère tiennent lieu d’acte volontaire.

A voir une de ses expositions on a l’impression que tout est là ‘juste comme ça’, presqu’au hasard des matériaux disponibles, des possibilité d’accrochage, du lieu, de la lumière. Pourtant rien n’aurait pu être différent, le hasard n’existe pas, mais le temps de regarder, tout est déjà autre. Les choses existent, ont une place, puis disparaissent.

Pour sa contribution à ce catalogue ainsi que pour son intervention plastique dans l’exposition, c’est l’échelle qui sera le point de convergence entre les deux. Dans la première, il emploie la trame pour élaborer son oeuvre, alors que pour son installation il a merveilleusement tiré parti tant de l’architecture du lieu, que du site. L’espace, une grande baie vitrée, un mur aveugle ainsi qu’une grande pelouse du parc font prendre conscience au spectateur de son propre rapport à l’environnement et de la relation entre objet, espace et lumière.

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Dans son catalogue pour l’exposition au Musée de Louvain-la-Neuve (1985), 10 ans de peinture … dans l’espace, Bernard Villers énumère les choses, les gestes: “Les toiles écrues, libres, tendues, les rubans, les cordes, les bolducs, les lattes de bois, les panneaux de bois, les planches, les planchettes, les chevrons, les plaques de plâtre, de ciment, de plomb, les tôles, les ardoises, l’éternit, les papiers translucides, les papiers pelure, les carbones, les verres, les cellophanes, les écrans, les voiles, les murs, l’huile, l’acryl, l’aquarelle, la tempera, les filtres couleur, les rayons lumineux, les crayons, les craies, les pastels, les encres, les pigments, le fusain, le noir de fumée, les poudres de bronze, la couleur des choses, les pinceaux, les brosses, les couteaux, les racles, les racloirs, les raclettes, les rouleaux, les marteaux, les scies, les ciseaux et la colle, les emporte-pièces, le diamant, le projecteur-dia, l’accrochage, l’épinglage, le tapissage, la pendaison, la tension, la suspension, la pose, le dépôt, la disposition, le rangement, le dérangement, l’installation, l’occupation, l’intervention, le décrochage.”

En exergue du catalogue pour l’exposition L’ombre des couleurs (Bruxelles, 1983), est placée une phrase de Roland Barthes: “Lorsque j’achète des couleurs, c’est au seul son de leur nom”. Effectivement toutes les oeuvres de Bernard Villers sont un jaillissement de couleurs et c’est souvent le nom de celles-ci qui nous vient en premier lieu à l’esprit. Dans beaucoup d’oeuvres il joue sur le nom, sur un mot qui appelle un nom: rouge de Venise, rouge de Pouzzole, bleu indien, outremer.

Dans la démarche de Bernard Villers le livre, “livre d’artiste”, a acquis une place importante. L’utilisation du papier comme support privilégié à l’époque de la réalisation de ses premiers livres et l’emploi fréquent de la sérigraphie, devaient inévitablement l’amener à concevoir une oeuvre et à la multiplier sous forme de livres. Depuis 1976 il a réalisé une trentaine de livres. A quelques exceptions près, tous ont été publiés par l’artiste, sous le nom de Edition du Remorqueur. Pour la plupart il en est également l’imprimeur-sérigraphe et le distributeur. Chez lui le livre sort de l’atelier, comme le tableau de celui du peintre.

Tous ses livres, de 8, 16 ou 32 pages, rarement plus, réalisés généralement sur papier pelure, ne prennent chacun que quelques millimètres d’épaisseur dans une bibliothèque et ne pèsent que quelques grammes. Quelle discrétion, alors que l’on nous habitue à des livres d’art lourds et bien souvent vides de sens. Deux poids, deux mesures! Pourtant, ayant ses livres, ses oeuvres en main, les feuilletant hâtivement ou patiemment, on peut constater que leur contenu, leur aspect autant que leur valeur tactile, sont ceux d’une oeuvre d’art conçue avec rigueur et passionnément élaborée. Tout y a sa raison d’être: la transparence du papier qui permet à chaque livre d’avoir son identité propre, d’évoluer de page en page, ou au contraire un papier opaque quand le trait ou la couleur doivent avoir à eux seuls un sens; le format qui joue un rôle par rapport à chaque livre; et le texte ou le titre qui souvent est la clé de l’oeuvre.

Chez Bernard Villers une couleur ne pourrait être remplacée par une autre. Si quelquefois ses livres font référence à l’oeuvre d’autrui, c’est la couleur que celle-ci lui évoquait ou une phrase, qui en sont la source. Comme dans La nuit tombe (1978), où 16 traits jalonnent le livre comme les noms de même couleur cadençant le paragraphe d’un roman de Davis Goodis; il ne s’agit ici nullement d’illustration mais de parallèle. Ou dans Fais-moi un dessin (1985), où il demande à une dizaine d’artistes amis (Michel François, Jacques Lizène, Walter Swennen e.a.) de lui faire un dessin, qu’il reproduit sur papier calque d’où il fait transparaître un grand aplat d’une couleur correspondante à l’esprit du dessin. Ou encore dans Un peu/beaucoup (1981 ), où il ponctue par des traits noirs et incisifs sur un papier, cette fois épais et opaque, les mots d’une phrase de Micheline Créteur. Mais c’est dans Figure/Paysage/Marine (1988) qu’il ramène la peinture à une oeuvre conceptuelle. Il réduit le livre – la peinture – à une suite de partages de l’espace de la page par de grands aplats qui évoquent la couleur dominante de chacun des trois formats traditionnels de tableaux. Le papier, le mur, l’espace, la lumière, les vides même deviennent eux aussi couleurs et font partie de sa peinture comme les silences font partie de la musique de John Cage.

Parfois, à l’occasion d’expositions, l’envers du trait sur le papier replié partiellement (Un traitun pli, Bruxelles, 1983), ou un trait, unique, reproduit sur les feuilles d’une pile de papier (Pile, Antwerpen, 1979) confèrent à certaines oeuvres d’infinies possibilités de transparences, d’opacités et de compositions. Parfois tiennent lieu de couleur la réverbération du ciel avec toutes ses nuances sur des plaques de verre disposées dans un champ, verres transparents et matés (Les nuages, les
mirages, Chaudfontaine, 1984), ou des verres au dos desquels de la poudre de bronze est appliquée (Les nuages, les images, Aarschot, 1983). :Pour Echelles (Sint-Amandsberg, 1990), il présente une série de plaques offset en aluminium peintes à l’huile et graduées aux tons de terres différentes, 25 au total: terre d’Ombrie, de Kassel, de Bruxelles, de Sienne ou terre grise. L’ensemble des plaques est disposé à même le sol, telle une échelle le long d’une façade.

Dans Feuilles à sécher (Mormont, 1978) ce sont des feuilles aux grands aplats sérigraphiés, les unes suspendues dans un hangar, les autres le long d’une clôture, qui prennent au gré des courants d’air ou du vent des teintes autres que celles appliquées volontairement. Pour sa contribution à ce catalogue ainsi que pour son intervention dans l’exposition, c’est l’échelle qui sera le point de convergence entre les deux. Il utilise la trame pour élaborer son oeuvre dans le catalogue, alors que pour son installation il a merveilleusement tiré parti tant de de l’architecture du lieu, que du site. L’espace, une grande baie vitrée, un mur aveugle ainsi qu’une vue sur la grande pelouse du parc font prendre conscience aux spectateurs de leur rapport à l’environnement et de la relation entre objet et espace. Pour lui la raclette du sérigraphe a souvent remplacé le pinceau. Les traces des larges plans opaques et mats ainsi obtenus paraissent vouloir, par un simple attouchement, se transmettre
sur notre doigt. Même fixée sur un support, la couleur semble en quelque sorte n’être que le pigment et on pourrait imaginer qu’il suffirait d’un souffle pour que tout s’envole et se dépose en un autre lieu, sur un autre support.

Bernard Villers est sans conteste un peintre et si la dénomination “livre de peintre” n’était liée principalement à un type de livres en vogue au début de ce siècle, c’est au livres de Bernard Villers, plus qu’à aucun autre, qu’on aurait pu l’attribuer. Pour lui les divers matériaux, les couleurs, les espaces, la lumière, les ombres, à valeur égale, font partie de sa peinture. Même si objet ou installation il y a, c’est à chaque fois la vision d’une peinture qui nous est offerte. A chaque vision, à chaque moment, l’instantané, l’ombre, la couleur, la texture du papier, le support, le pli, le trait nous paraissent primordiaux. Pourtant c’est l’ensemble qui suscite en nous le souvenir de l’oeuvre. “Quand on dit ce qu’on fait, on ne fait pas ce qu’on dit.” Ainsi, confronté à une oeuvre de Villers, quand on voit ce qu’il y a, il n’y a pas, ou plus nécessairement ce que l’on a vu.

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D’une oeuvre à l’autre (extrait) (PDF)

Exposition de Bernard Villers chez Ficheroulle: “La rigueur et le lyrisme s’affirment” a été publié dans Le Soir du samedi 19 mars 1994, par Jo Dustin.

Bernard Villers invente des règles pour moduler son cheminement coloré. Et il privilégie l’interaction entre l’impact chromatique et la citation des couleurs. Ainsi «L’Ombre des couleurs» inscrivait le nom des couleurs: brun de Kassel, terre de Sienne, outremer, sur des vitres-lanternes et une ampoule électrique projetait sur le mur une graphie quasi magique. Dans «Color Box», les boîtes trouvées, les boîtes fabriquées déclinaient toutes les nuances du rouge et, grâce au jeu des reliefs, captaient la mouvance des ombres fluctuantes.

Si les «livres d’artiste» favorisaient la transparence, les dossiers de chaises préféraient une opacité tangible. La couleur, toujours elle, métamorphosait ces objets perdus et leur attribuait une singularité différente. Orange royal. Bleu marin. Vert palpitant. Mauve velouté… Ces dossiers de chaise devenaient des signes qui possédaient leur identité et blasonnaient en faisant jouer un rôle aux espaces intercalaires et environnants. Villers dit: J’aime expliquer ou plutôt m’expliquer ce que je fais, c’est pourquoi je m’astreins à une certaine logique, mais ce sont les surprises qui donnent au travail sa dimension poétique. Cette phrase convient particulièrement à la dernière exposition de cet artiste à la galerie Étienne Ficheroulle. En effet la règle préside à nouveau. Les tableaux à l’huile forment des triptyques dont deux couleurs offrent le mélange à la troisième couleur, les proportions étant scrupuleusement respectées. Mais cette définition peut paraître sèche, dépourvue de toute saveur.

Or les oeuvres exposées ici possèdent une richesse fortement tonique et les couleurs opèrent une véritable célébration qui rejette tout camaïeu de bon ton. Bleu turquoise et ocre clair créent un vert tendre très séduisant. Noir et blanc de titane inventent un gris aux nuances curieusement bleues. Et la touche fougueuse de chaque tableau palpite avec vigueur. Nous sommes en présence d’un minimalisme dynamique qui anime chaque trio de tableaux d’une énergie rare. À contempler donc pour le bonheur éclatant d’une peinture où cohabitent la rigueur et le lyrisme.

JO DUSTIN
Galerie Étienne Ficheroulle, 36, rue Veydt, 1050 Bruxelles. Jusqu’au 26 mars.

Bernard Villers à la galerie Van de Velde: “L’insoutenable légèreté des portraits de papier”, a été publié le jeudi 3 septembre 1992 dans Le Soir. Par Jo Dustin.

La démarche plastique de Bernard Villers s’inscrit dans la quête minimaliste. Art de la limite, qui se profile sur la corde raide du peu, pour exprimer avec intensité une palpitation éphémère. Aujourd’hui, ses «portraits de papier» modulent dans l’espace très aéré de la galerie Van de Velde des empreintes chromatiques, des marquages érodés qui témoignent de toute la légèreté de l’être.

Si Villers rejette la composition construite à la Dewasne, pleine d’énergie qui propose un remodelage du monde, une édification tonique, il façonne toutefois des constellations poétiques où les trames de papier saturées de rouge organisent une ronde, un déploiement logique qui réjouit l’oeil. Ici, l’ensemble, qui peut adopter un autre agencement dans un autre lieu, nous touche au-delà des mots. Mais chaque oeuvre se suffit également à elle-même. Il y a donc interaction subtile mais aussi addition, regroupant des chants uniques. Ce polyptyque en forme d’archipel se contemple de loin mais aussi de manière très rapprochée. Alors les estampilles rouges révèlent leurs diversités: traces ajourées, ponctuation étagée avec enclave grise, rectangle rugueux, oblitération voilée de transparence, qui fusionnent toutes avec le support précieux du papier Japon. Chaque impression encadrée devenant en quelque sorte un haïkaï muet.

Au-delà de ce carrefour central, les travaux s’organisent par suites affectionnant les symétries médianes, les affirmations opaques ou allusives. Sur la blancheur du fond se concrétisent des gémellités aux tensions inégales. Et tout se rythme en noir, en bleu, en vermillon. Signes laconiques qui s’impriment parfois au pile ou face de la surface du papier, révélant l’ardence ou l’embrun d’une couleur.
Il existe un minimalisme usiné, froid, sans faille aucune. Chez Villers, tout respire autrement. Ici, les mains du peintre nous délèguent une scansion ténue, quotidienne, entamée d’une rare et forte fragilité.

La jeune artiste Pascale de Visscher complète cette exposition par ses pigments sur papier. Chez elle, des blasonnements monochromes cristallisent une approche toute tactile de la couleur. Les pigments sont posés à la main. Les jaunes, les bruns, les bleus connaissent des frémissements, des déclinaisons actives toujours complétées par un ton divergent ou par un ajout beaucoup plus pâle. L’art construit chez cette artiste se mue en quête savoureuse où la forme et la couleur inventent un lexique épuré sans étouffer pour autant une riche sensibilité.

JO DUSTIN
Galerie Denise Van de Velde, Tragel, 7A, Alost, jusqu’au 19 septembre.

Article paru dans ARTE FACTUM, Revue d’art contemporain en Europe, sep-oct 1990, vol. 7, numero 35.
Par Guy SCHRAENEN.

Bernard Villers est de ces artistes trop rares aujourd’hui pour qui l’art, l’oeuvre d’art, est autre chose qu’un produit. Pour lui l’oeuvre, l’ensemble de son oeuvre, est plutôt la trace, les traits des ombres, des transparences, laissés par-ci par-là que les amateurs attentifs auront eu le privilège de fixer le temps d’un instant, l’instant de la vision. Pour voir quoi? En général qu’un souvenir et quelques fois même plus qu’un souvenir d’ombre: une oeuvre où l’absence, où l’éphémère tiennent lieu d’acte volontaire.

A voir une de ses expositions on a l’impression que tout est là, ‘juste comme ça’, presqu’au hasard des matériaux disponibles, des possibilités d’accrochage, du lieu, de la lumière. Pourtant rien n’aurait pu être autrement. Le hasard n’existe pas. Même si, le temps de regarder, tout est déjà autre. Les choses sont, ont une place, puis disparaissent.

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Les toiles écrues, libres, tendues, les rubans, les cordes, les bolducs, les lattes de bois, les panneaux de bois, les planches, les planchettes, les chevrons, les plaques de plâtre, de ciment, de plomb, les tôles, les ardoises, l’éternit, les papiers translucides, les papiers pelure, les carbones, les verres, les céllophanes, les écrans, les voiles, les murs, l’huile, l’acryl, l’aquarelle, la tempera, les filtres de couleur, les rayons lumineux, les crayons, les craies, les pastels, les encres, les pigments, le fusain, le noir de fumée, les poudres de bronze, la couleur des choses, les pinceaux, les brosses, les couteaux, les racles, les racloirs, les raclettes, les rouleaux, les marteaux, les scies, les oseaux et la colle, les emporte-pièces, le tapissage, la pendaison, la tension, la suspension, la pose, le dépôt, la disposition, le rangement, le dérangement, l’installation, l’occupation, l’intervention, le décrochage [cf Bernard VILLERS, 10 ans de peinture… dans l’espace, in cat. Musée de Louvain-la-Neuve, 1985]

En exergue du catalogue pour l’exposition L’ombre des couleurs (Bruxelles, 1983) il y a une phrase de Roland Barthes: Lorsque j’achète des couleurs, c’est au seul son de leur nom. Effectivement toutes les oeuvres de Bernard Villers sont un jaillissement de couleurs et c’est souvent le nom de celles-ci qui nous vient à l’esprit en premier lieu . Dans beaucoup d’oeuvres il joue sur le nom, sur un mot qui appelle un nom: rouge de Venise, rouge de Pouzzole , bleu indien, outremer. Dans sa démarche le livre, ‘livre d’artiste’, a acquis une place importante. Son support privilégié à l’époque de la réalisation de ses premiers livres, le papier, l’emploi fréquent de la sérigraphie, devaient inévitablement l’amener à concevoir une oeuvre, à la multiplier sous forme de livres. Tous les livres – une vingtaine au total – de 8, 16, 32 pages, rarement plus, réalisés généralement sur papier pelure, ne prennent chacun que quelques millimètres dans une bibliothèque, ne pèsent que quelques grammes. Quelle discrétion, alors que l’on nous habitue à des livres d’art lourds et bien souvent vide de sens. Deux poids, deux mesures! Pourtant, ayant ses oeuvres en mains, les feuilletant hâtivement ou patiemment, leur contenu, leur aspect autant que leur valeur tactile, sont ceux d’une oeuvre d’art conçue avec rigueur et passionnément élaborée. Tout y a sa raison d’être: la transparence du papier qui permet à chaque livre d’avoir son identité propre, d’évoluer de pages en pages, ou au contraire un papier opaque quand le trait ou la couleur doivent avoir à eux seuls un sens; le format qui joue un rôle par rapport à chaque livre; et le texte ou le titre qui souvent est la clé de l’oeuvre. Chez Villers une couleur ne pourrait être remplacée par une autre. Si quelques fois il a basé ses livres sur l’oeuvre d’autrui, c’est la couleur que celle-ci lui évoquait ou une phrase , qui en est la source. Comme dans La nuit tombe (1978) où 16 traits jalonnent le livre comme les noms de même couleur cadençant le paragraphe d’un roman de David Goodis, il ne s’agit ici nullement d’illustration mais de parallèle. Ou dans Fais-moi un dessin (1985) où il demande à une dizaine d’artistes amis (Michel François, Jacques Lizène, Walter Swennen, e.a.) de lui faire un dessin , qu’il reproduit sur papier calque d’où il fait transparaître un grand aplat d’une couleur correspondant à l’ esprit du dessin . Ou encore dans Un peu/beaucoup (1981) où il ponctue, par des traits noirs et incisifs, sur un papier cette fois épais et opaque, les mots d’une phrase de Micheline Créteur.

Mais c’est dans Figure/Paysage/Marine (1988) qu’il ramène la peinture à une oeuvre conceptuelle. Il réduit le livre – la peinture – à une suite de partages de l’espace de la page par de grands aplats qui évoquent les couleurs dominantes correspondant aux dénominations de formats de tableaux. Le papier, le mur , l’espace, la lumière, les vides même deviennent eux aussi couleurs et font partie de sa peinture comme les silences font partie de la musique de Cage. Parfois l’envers du t rait sur le papier replié partiellement (Un trait-un pli, Bruxelles, 1983) ou un trait, unique, reproduit sur les feuilles d’une pile de papier (Pile, Anvers 1979), confèrent à certaines oeuvres d’ infinies possibilités de transparences, d’opacités et de compositions.

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Parfois tiennent lieu de couleur la réverbération du ciel avec toutes ses nuances sur des plaques de verres disposées dans un champ, verres transparents et matés (Les nuages, les mirages, Chaudfontaine, 1984) ou verres au dos desquelles de la poudre de bronze est appliquée (Les nuages, les images, Aarschot, 1983)(2). Pour Echelles (Sint-Amandsberg, 1990) il présente une série de plaques offset en aluminium peintes à l’huile et graduées aux tons de terres différents – 25 au total – e.a. t erre d’Ombrie, de Kassel, de Bruxelles, de Sienne ou terre grise . L’ensemble des plaques est disposé à même le sol tel une échelle le long d’une façade. Dans Feuilles a sécher (Mormont , 1978) se sont des feuilles aux grands aplats sérigraphiés, les unes suspendues dans un hangar les autres le long d’une clôture, qui prennent au ré des courants d’air ou du vent des teintes autres que celles appliquées volontairement.

Pour lui la raclette du sérigraphe a souvent remplacé le pinceau. Les traces des larges plans opaques et mats ainsi obtenus paraissent vouloir, par un simple attouchement, se transmettre sur notre doigt. Même fixée sur un support la couleur semble en quelque sorte n’être que le pigment et on pourrait imaginer qu’il suffirait d’un souffle pour que tout s’envole et se dépose en un autre lieu, sur un autre support. Bernard Villers est sans conteste un peintre. Les divers matériaux, les couleurs, les espaces, la lumière, les ombres, a valeur égale, font partie de sa peinture. Même si objet ou installation il y a, c’est à chaque fois la vision d’une peinture qui nous est offerte. À chaque vision, à chaque moment, l’instantané, l’ombre, la couleur, le support, le pli, le trait nous paraissent primordiaux. Pourtant c’est l’ensemble qui suscite en nous le souvenir de l’oeuvre. Quand on dit ce qu’on fait, on ne fait pas ce qu’on dit. Ainsi, confronté à une oeuvre de Villers, quand on voit ce qu’il y a, il n’y a pas, ou plus nécessairement ce que l’on a vu.

Guy SCHRAENEN

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