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Article publié dans L’art Même, numéro 46, du premier trimestre 2010. Par Benoît Dusart.

“J’ai choisi exprès le mot mince qui est un mot humain et affectif et non une mesure précise de laboratoire. Le bruit ou la musique faits par un pantalon de velours côtelé comme celui-ci quand on le fait bouger est lié au concept d’inframince. Le creux dans le papier entre le recto et le verso d’une fi ne feuille… A étudier ! (…) Je pense qu’au travers de l’inframince, il est possible d’aller de la seconde à la troisième dimension.” Marcel Duchamp, à propos de l’inframince.

Peut-être, chez BERNARD VILLERS, le support a-t-il toujours été un piège. Condition sine qua non de sa peinture, il n’est jamais cette surface dont le regard pourrait, d’un clin d’oeil, se faire maître. Rien ne s’offre d’emblée dans ce travail qui ne se dévoile que dans les hors-champs, les interstices et les infinies digressions qui en étendent, presque imperceptiblement, la topographie.

A tout vis-à-vis, Bernard Villers oppose l’obliquité, l’au travers, l’en deçà, l’au-delà. A tel point qu’il est difficile, voire impossible, de photographier sa peinture. Elle se révèle en aparté, pour se dérober ensuite, exacerbant dans ses mouvements presque hasardeux la fragilité et la délicatesse qui lui tienne d’équilibre. Ce n’est jamais que presque rien, cela semble ne pas tenir à grand-chose, mais cette peinture existe ; ambiguë, presque bancale, inframince.

Il fut un temps où Bernard Villers brûla ses toiles jusqu’au châssis, à la recherche, dit-il, de plus de légèreté. Si l’on ne peut parler de dématérialisation du cadre, il est une contrainte que l’artiste semble vouloir déterritorialiser, virtualiser. Le plan est celui d’un mur peint sur ses deux faces, du monochrome qui ne lui est pas parallèle, d’oeuvres face auxquelles le regard ne peut qu’obliquer, sans cesse troublé par le dispositif d’accrochage qui, chaque fois, le détourne de l’apparente évidence d’une forme ou d’une couleur.

Toujours instable, l’aplat ne l’est que peu. La matière, rapidement “barbouillée” (pour reprendre son expression) s’épanouit ici dans les aspérités des surfaces investies : papier, toile de coton, bouchon de liège, porte, cageot, …Loin de l’aspect “clinique” que l’on associe souvent au minimalisme, ce travail témoigne d’une certaine urgence, d’une conquête de la couleur à jamais reprise et densifiée.

Le paradoxe de cette approche, c’est qu’elle ne cesse de dérober son objet des limites spatiales que l’artiste pourtant lui impose. C’est que l’enjeu n’est plus, depuis longtemps, le tableau. Le travail de Bernard Villers tient plutôt du dispositif, d’une petite mécanique souple, parfois incertaine, qui oeuvrerait sans répit à créer l’entre deux à partir duquel la couleur se déploie. Possibilité physique de son extension, l’objet peinture ne se fait pas image et provoque toujours un doute quant à son autorité. L’oeuvre relève plutôt d’une composition avec l’espace et semble n’exister que dans sa dimension relationnelle et dialogique avec la lumière. S’autonomisant du geste, et, par jeux de réflexions et de reflets, de la peinture elle-même, la couleur devient atmosphérique, légère, infiniment subtile et nuancée. Loin d’envelopper le spectateur, elle exige un temps d’appréhension, l’attention soutenue que requièrent les choses qui jamais ne s’emportent d’un regard.

Le livre est l’autre moyen d’expression investi par l’artiste. Publiées aux éditions Le Nouveau Remorqueur, ces éditions d’artiste constituent aujourd’hui une collection d’une centaine de titres. Mickey, talvez, La carte du tendre et Leporello sont les derniers parus. Jouant sur les plis, les percées, les mots et les couleurs, ces livres qui semblent, eux aussi, résister à leur statut d’objet, déclinent encore la poétique picturale chère à l’artiste. Ils s’arpentent de plis en plis, se manipulent aux grés d’associations inopinées, d’avers et de revers de sens. Ici encore, les limites du support constituent autant de potentialités, de voies par delà lesquelles l’artiste étend l’espace indéfini de son univers plastique.

Dans les semaines et les mois qui viennent, on aura souvent l’occasion de (re)découvrir son travail. D’abord lors de l’exposition Half en Half, à la Maison de la Culture de Namur, qui verra dialoguer les travaux de Bernard Villers et ceux de Pierre Toby. Ensuite, à la galerie Käämer 12, où l’artiste présentera Leporello, petit livre ludique et poétique parti du récitatif du valet de Don Juan dans l’opéra de Mozart. Rose c’est la vie est le titre donné à son exposition à l’espace CO21, visible en parallèle au parcours d’artistes de Saint-Gilles. Si le titre annonce la couleur, on se surprendra des chemins que l’artiste lui fait prendre et l’on notera par ailleurs la présence d’une dizaine d’artistes invités.

Enfin, c’est au Musée de la gravure et de l’image imprimée, que, cet été, Bernard Villers présentera ses livres publiés aux Editions du Remorqueur.

Benoît Dusart

HALF EN HALF
MAISON DE LA CULTURE DE NAMUR
14 AVENUE GOLENVAUX, 5000 NAMUR
T + 32 (0)81 77 67 73
DU 13.03 AU 25.04.10

LEPORELLO
GALERIE KÄÄMER 12
12 RUE CRICKX, 1060 BRUXELLES
T + 32 (0)494 13 78 60
WWW.KAAMER12.COM
DU 7 AU 31.05.10
(VERNISSAGE LE 6.05 À 19H)

ROSE C’EST LA VIE
ESPACE CO21
21 RUE DE TAMINES, 1060 BRUXELLES
T + 32 (0)2 537 92 57
DU 8 AU 23.05.10
(VERNISSAGE LE 7.05)

CENTRE DE LA GRAVURE ET DE L‘IMAGE
IMPRIMÉE, 10 RUE DES AMOURS,
7100 LA LOUVIÈRE
T + 32 (0)64 27 87 27
DU 4 AU 30.06.10