Info

“Bernard Villers: En couleur, l’envers vaut l’endroit”, par Colette Dubois, publié dans Flux News, numéro 52, avril 2010.

Après Rennes l’automne dernier et avant le partage avec quelques dizaines d’amis de l’espace du C021 et une exposition au Centre de la gravure et de l’image imprimée de La Louvière, Bernard Villers a présenté ses peintures à la Maison de la Culture de Namur. L’occasion de se pencher sur une oeuvre tout à la fois exigeante, optimiste et généreuse.

Pierre qui roule, Centre culturel de Marchin ©Daniel Dutrieux

Half en half

Avez-vous déjà goûté à un « Half en half » ? C’est un apéritif traditionnel bruxellois fait de moitié vin blanc , moitié mousseux que le garçon sert en direct, une bouteille dans chaque main. Cela donne une boisson transparente , légèrement teintée de jaune pâle et agrémentée de bulles discrètes. Le breuvage se laisse boire et fait rapidement monter le rose aux joues.

« Half en half » c’est le titre générique que Bernard Villers et Pierre Toby ont donné à leur exposition à la Maison de la Culture de Namur ou, du moins à l’entrée en matière de leurs expositions individuelles intitulées « De l’impermanence » pour Toby et « L’envers vaut l’endroit » pour Villers. L’ensemble ouvre à toutes les couleurs (et bien plus soutenues que celles de l’apéritif ou de ses effets) qui sont au centre de l’oeuvre des deux artistes.

Dans le hall d’entrée, les peintures de Bernard Villers appartiennent à la série « Iridescence », les surfaces sont couvertes d’une peinture particulière qui produit un effet miroir et réfléchit l’ espace tout en créant une certaine incertitude quant à la couleur. Les peintures de Pierre Toby, comme à son habitude, sont faites sur un support de verre. En travaillant le verso , l’artiste travaille à l’aveugle, n’ayant accès au résultat que lorsque la peinture est sèche.

La confusion entre les deux artistes (mais c’est aussi celle de la boisson : est-ce un vin pétillant ou un vin plat ?) qui augurait d’un accrochage singulier n’allait pas au-delà de l’entrée et le spectateur avait alors à traverser les espaces communs et un peu vieillots de la maison de la culture pour retrouver les deux peintres , chacun dans “sa” pièce au premier étage.

L’avantage de cette réunion, suivie de cette séparation, permettait de mesurer ce que les deux peintres ont en commun pour mieux faire ressortir ce qui, plus fondamentalement, les sépare et fonde leur singularité. Le désavantage de cette rupture entre les espaces d’exposition avait aussi pour effet de casser le concept d’exposition réunissant deux maîtres de la couleur et de renvoyer l’approche du travail de chacun à un accrochage un peu convenu et malheureusement typique des maisons de la culture francophones.

C’est ainsi que le travail de Pierre Toby, qui relève d’une certaine ascèse, s’inscrivait dans un grand espace vitré. Chacune de ses peintures renvoie à la fois au photographique et au cinématographique: elles sont en même temps filtre coloré et écran. L’espace e t le spectateur sont en permanence les éléments mouvants qui animent les surfaces monochromes révélant une virtualité presque infinie au sein d’une couleur forte et précise.

Couleurs et plis

La peinture de Bernard Villers est à classer, à première vue, dans la catégorie, sérieuse et quelque peu hermétique du monochrome. La définir de la sorte reviendrait à n’avoir jamais approché ni l’homme ni l’oeuvre!

Les titres de quelques-unes de ses expositions récentes – « La carte du tendre » , « Une impression persistante », « La nécessité du hasard », « La conjuration des couleurs » , « La vue en rose », « Rose c’est la vie » – en disent déjà un peu plus sur cette oeuvre: il y est question de tendresse, de jeux de mots , de situations potentiellement romanesques. Le titre de cette exposition namuroise , « L’envers vaut l’endroit », est une locution familière. Elle évoque tout à la fois le palindrome et le motif du renversement. Si l’envers vaut l’endroit, peut être alors doit-on partir du milieu, à savoir du lieu de jonction des surfaces. Les peintures que Villers montrait ici étaient faites de quadrilatères inégaux dont une partie se détachait du mur comme un pli dans le panneau. Ainsi qu’il l’explique « quand je peins, je peins sur un parallélogramme. Je fais ensuite une découpe légèrement oblique sur toute la longueur d’un des côtés. La bande que j’obtiens ainsi, je la réutilise en la reportant au dos. Elle va ainsi déterminer une certaine inclinaison de la peinture. Ce n’est donc plus un parallélogramme mais un trapèze rectangle. À première vue, ces peintures ont l’air très sages mais le fait que le plan de celles-ci ne soit plus parallèle au mur crée une espèce de malaise et d’indécision. On est invité à voir le profil de ces peintures et à constater qu’elles décrochent par rapport au mur, qu’elles sont en saillie ». Le tableau prend donc place dans l’espace et crée sur le mur autour de lui un jeu d’ombres colorées. Parfois, le pli est marqué : le champ du panneau est laissé nu et s’exhibe.

Sur une partie d’un mur, les tableaux sont regroupés par couleurs – un camaïeu de jaunes, plus loin , un violet affronte un rouge en symétrie. La peinture de Bernard Villers peut aussi quitter le mur comme ces volumes articulés dont chaque panneau est peint d’ une couleur uniforme, mais qui reçoit les reflets de celles qui s’articulent à elle. Ces paravents sont comme des livres géants ouverts où l’on peut lire les rencontres entre les couleurs et la lumière. Comme Georges Perec (un auteur qu’il admire) pratiquait la « tentative d’épuiser un lieu parisien », Villers tente d’épuiser toutes les occurrences de la couleur. Des couleurs qu’il choisit en fonction de leurs noms, « Terre de Sienne » , « bleu d’outre-mer », « Jaune du Sénégal » racontent déjà le voyage. Des couleurs qu’il fait parler en modifiant la lumière sur une surface unie (plier la surface, la confronter à une autre). Des surfaces qu’il trouve ou qu’il modifie comme ces panneaux percés de deux trous pour y glisser les yeux qui deviennent masques géants ou boucliers malins. Il peut aussi laisser la couleur vivre sa vie (et on se rend compte alors qu’elle est pleine d’in attendus) comme il l’ avait fait il y a un an, à Marchin, en Pierre qui roule, enduisant des pierres de peinture acrylique et en les faisant rouler sur une feuille qui devient ainsi le support des empreintes de leurs mouvements. En se dédiant à la couleur, le plus élémentaire et le plus fertile des moyens de la peinture, Bernard Villers crée une oeuvre solide, heureuse et féconde à (re)découvrir de toute urgence.

Colette Dubois

PDF de l’article.